Ce livre est bien celui que j’attendais d’acheter depuis très très longtemps. En effet, lorsque j’avais rencontré le directeur de la publication de Folio SF, Pascal Godbillon, il m’avait annoncé travailler sur la sortie prochaine d’un recueil de nouvelles d’Alain Damasio. Et bien chers lecteurs, ceci est une merveilleuse nouvelle. Car si je ne vous ai parlé que de la Zone du Dehors dans mes chroniques littéraires, sachez qu’il a également sorti la Horde du Contrevent et que cet auteur est juste grandiose.
Les Hauts® Parleurs®
Nous nous intéressons ici à la première nouvelle, Les Hauts® Parleurs®. Et si ce titre voit apparaître ce symbole »® » un peu particulier, qui je vous le rappelle, signifie que le produit, ou la marque, est déposé(e) dans un certain pays, c’est en effet que dans cette nouvelle, les marques ont fait l’acquisition de certains mots du vocabulaire. Ainsi, une quelconque personne utilisant un mot déposé devra payer des royalties. Pour contrer ça, une zone, la Zone 17, a été créée. En son sein, des inventeurs, des écrivains, des altermondialistes (etc.) sont réunis pour créer un nouveau vocabulaire.
Parmi ces exilés du monde moderne, Spassky, qui n’avait rien demandé, voit son chat, le dernier des vrais chats, c’est-à-dire non créé de la main de l’Homme, mourir. Il décide alors de joindre les Hauts Parleurs pour lutter contre la tyrannie des marques.
Voilà une nouvelle qui conjugue grandement les deux œuvres d’Alain Damasio; son côté altermondialiste, remettant en cause notre société actuelle et vers quoi elle tend, et sa justesse d’écriture, son aisance avec les mots, qui nous offrent une fois de plus un récit hors du commun.
Annah à travers la Harpe
Cette fois, nous sommes dans un univers que je vais appeler mythologie informatique. En effet, nous suivons les aventures d’un jeune père à la recherche de sa fille Annah, morte, et ainsi donc prisonnière des limbes, vivante seulement à travers les souvenirs de ses parents. Il fait ainsi appel au Trépasseur pour savoir comment la récupérer.
Si de prime abord, on se demande où est passé l’univers de Damasio dans cette nouvelle, on ne se le demande pas bien longtemps. De nouveau, on retrouve cette critique de la société actuelle et la place (trop importante ?) que prend la technologie.
Une nouvelle ma foi sympathique, qui ne transcende pas, mais qui revisite la mythologie, adaptée à notre société.
Le bruit des bagues
Même univers, je pense que je n’en parlerai plus. Surtout que dans cette nouvelle, l’univers ne sert que de trame de fond. le plus important, c’est tout autre chose. Quelque chose que nous cherchons tous : l’amour. Cette nouvelle est une nouvelle d’amour. Mais attention, on ne sort ni les violons ni les roses.
Jusqu’où seriez-vous prêt à aller par amour ? Pour cet amour vrai, le coup de foudre, la personne qui fait tout changer, qui fait que vous voyez le monde différemment, comme si, pour la première fois, vous ouvriez les yeux.
Finalement, c’est ce qui arrive à Sony. Après 40 ans, il naît enfin. Et tout ça grâce à Loréal. Et même si l’amour ne rend pas aveugle, il peut toujours cacher quelque chose. Les épines de la rose en quelque sorte. Ou le poison de Poison Ivy. Ou le pouvoir de Malicia dans les X men sinon. Enfin vous m’avez compris.
C@PTCH@
Et bien cette fois-ci, je ne sais trop que dire. Comme souvent quand je lis du Alain Damasio, il y a des petits bouts que je ne comprends pas; vocabulaire complexe/pointu et/ou parfois inventé. Cela n’empêche pas de comprendre la nouvelle, mais je préfère prévenir.
Ensuite, si je ne sais trop quoi dire, c’est avant tout car l’univers est très riche, sans trop savoir ce qui l’a amené. En effet, nous sommes plongés dans un univers où les enfants sont livrés à eux-mêmes dans le désert, obligés de manger des pièces informatiques (clavier, souris, câble ethernet etc.) pour survivre. Pour échapper à ça, un seul moyen, la C@PTCH@, une course où la seule issue est la dématérialisation pour entrer dans le système.
Cependant, si la C@PTCH@ fait rêver, suite à la capture, certains se voient transformer en simple données inutiles ou bien en fichier jpeg jamais ouvert. N’y aurait-il donc pas un autre moyen de survivre pour ces enfants ? Un moyen de rejoindre leurs parents, loin derrière la ville ?
Une nouvelle très riche, comme je vous le disais. Si quelque chose me chagrine dans cette nouvelle, c’est que ce n’est qu’une nouvelle. L’univers est très intéressant et un développement serait le bienvenu, tant pour le début que pour la fin.
So phare away
Lamproie, Pharniente, Farrago et Sofia sont des habitants pas comme les autres, ayant délaissés la route pour vivre dans des phares, lueurs dans ce monde de bitume. Monde de bitume car même l’eau est mélangé à ce dernier et cet espace de vie est bien le dernier présent sur Terre. En effet, lors des grandes marées, tous les 6 mois, l’eau goudronnée envahie la ville et recouvre tout sur son passage, sans discrimination.
Dans une ville qui se développe, le paysage évolue, les phares grandissent, les lumières éblouies, les messages se perdent et l’humanité se pollue.
En lisant cette nouvelle, j’ai réellement eu l’impression de lire une description de Twitter; les gens ne se parlent plus mais envoie des messages, sans forcément chercher à donner du qualitatif, juste à lancer des choses, peu importe ces choses. Les messages sont perdus, n’atteignant jamais les destinataires et restent 2 secondes, la vie ne leur en laissant pas plus.
Les Hybres
Anje O’Infante est un sculpteur de renom en déclin qui n’a pas sorti une seule oeuvre depuis 3 ans. Sous peine de se faire retirer sa dernière sculpture de la galerie, il réussi à obtenir une dernière chance auprès de son agent s’il propose des nouvelles œuvres.
Seulement voilà, Anje n’est pas un artiste comme les autres. Pour lui, créer revient à chasser. Et c’est la peur au ventre qu’il prend son matériel et sa matière première.
Ne vous êtes-vous jamais demandés d’où les artistes pouvaient puiser cette inspiration ? Comment font-ils pour pouvoir parfois créer de tels chefs d’oeuvre ? Nous ne naissons pas artiste. Alors, comment le devient-on ?
Alain Damasio nous entraîne dans cette nouvelle voir l’envers du décor, ce processus de création qui fait que chaque artiste est unique de par sa créativité. Si créativité il y a.
El Levire et le Livre
Depuis maintenant plus de 20 ans, El Levire est à la recherche du Livre. Celui avec un « L » majuscule, le Livre de la vie. Cependant, après la lecture du livre, le lecteur ne se souviendra pas de ce qu’il a lu. Mais ça, c’est si et seulement si El Levire parvient à terminer son écriture. En effet, il n’est pas le premier scribe à tenter sa chance.
Pour cette nouvelle, Alain Damasio a une fois de plus fait appel à son savoir et à son amour de la langue française pour composer et réfléchir sur la syntaxe et les figures de style. On y retrouve le même plaisir éprouvé que dans la lecture de la Horde du contrevent, livre que je conseille très fortement par ailleurs.
Sam va mieux
Nous suivons un homme errant seul dans un Paris complètement ravagé et déserté. Enfin il n’est pas vraiment seul car il a son fils adoptif avec lui, Sam, âgé de 3 ans. Le père et le fils font ainsi le tout Paris à la recherche de nourriture pour survivre. Des survivants, ils n’en cherchent plus. En effet, cela fait des années qu’ils n’en ont pas croisés. Mais seul, le père a réussi à décrypter le langage de la nature qui se transmet par le vent et par l’eau. Mais cette vie est sur le point de changer quand soudain, une nuit, le père entend un son lointain qu’il va alors décider de rejoindre pour en trouver l’origine.
Voilà une nouvelle très bien tournée, très bien écrite mais qui ne transcende pas vraiment. On peine à vivre et ressentir ce que ressent le personnage, même si la psychologie est bien fait, en alternant les « je » et les « tu » dans la narration, montrant la solitude du père. Cependant voilà, je pense que pour la première fois, les fantaisies d’écriture d’Alain Damasio m’ont déplu car rendant un peu complexe la lecture. Et malheureusement, la longueur de la nouvelle fait qu’on a du mal à passer au dessus.
Une nouvelle qui en reste pour le moins sympathique, mais qui sortira rapidement de votre esprit.
Une stupéfiante salve d’escarbilles de houille écarlate
Nous suivons dans cette nouvelle Île, humain choisit par le Barf pour effectuer une course un peu spéciale. En effet, elle déterminera quelle chose est la plus apte à recevoir le mu, pouvoir étrange qui semble être donné par le Barf, sans que personne ne sache réellement ce qu’est le mu, ou bien le Barf lui même, boule de vitesse prenant l’apparence qu’il désire.
Ayant du mal à contrôler le mu, chacune des émotions d’Île interagit avec ce qu’y l’entoure (colère, peur, tristesse) et change ainsi la matière de tout ce qu’il touche. Du coup, plus rien dans sa vie d’aéromaître n’est pareil. La course pour lui est un moyen d’essayer d’échapper à cette malédiction. Cependant, il semblerait que ce ne soit pas la motivation du Barf.
Enfin. J’ai retrouvé dans cette nouvelle tout l’univers qui m’avait attiré dans La Horde du contrevent. Les termes, cette poésie aérienne, ce monde imaginaire et pourtant si palpable, si réel. Étant une nouvelle inédite, on ne peut pas savoir si elle a été écrite avant ou après le livre, mais vous pouvez être surs que les deux sont liés.
Vous l’aurez donc deviné, rien à redire sur cette nouvelle si ce n’est qu’elle vaut le détour et que je n’attends qu’une chose, plus de développement sur cet univers.
Aucun souvenir assez solide
Dernière nouvelle éponyme de ce recueil. Et je dois vous dire que j’ai été un peu choqué. Voyant le nombre de pages restantes, je pensais en avoir pour un certain temps. Et bien non. Une nouvelle de 3 pages, c’est rapide à lire. Petit bait (piège/appât) de la postface. Mais pas de soucis, il y a tout de même matière.
Aal a fait appel à des Formeurs afin de faire revivre des souvenirs de son ancienne femme qui l’a quitté. Simplement, rien n’est aussi simple quand on se sert de souvenirs, car ils disparaissent ou sont modifiés au fil du temps. La difficulté est donc, qu’à l’aide de souvenirs, par définition flous, Aal doit recréer un monde tangible, solide.
À l’image de Cobb dans Inception, Aal ne veut pas lâcher le souvenir de sa femme et fait donc tout pour vivre, revivre, des moments de son passé.
Nous vivons dans cette nouvelle ce que nous avons tous déjà vécu, l’envie, le besoin de revivre un souvenir, quelque chose que l’on ne veut pas laisser échapper, que l’on ne veut pas perdre, et qui pourtant, jour après jour, s’estompe, fuit, inexorablement, sans que nous puissions y faire quoi que ce soit.