Trajets et itinéraires de la mémoire de Serge Brussolo

Trajets et itineraires de la memoire de Serge BrussoloVue en coupe d’une ville malade

Dans une ville où l’immobilier n’en fait qu’à ça tête, Georges et Henna sont propriétaires. L’inconvénient : ils ne savent pas pour combien de temps encore. En effet, malgré le métier d’Henna, l’ordinateur créant le sous-sol de la maison en fonction du monde actuel et à venir est devenu incontrôlable, tout comme celui des autres maisons, créant alors un véritable gruyère dans lequel chaque chose est recyclée par les ordinateurs pour servir de matériau, machines comme humains.

Dans un monde où règne l’incertitude et le chaos, où chaque cm² est accaparé par les constructions, il est difficile pour chacun de trouver sa place, et surtout, d’être sûr qu’elle sera encore là la minute suivante.

Dans cette première nouvelle du recueil, Serge Brussolo nous emmène directement sans préambule au coeur du sujet, à savoir dans les méandres d’une société débordée, dépassée par ses propres créations qu’elle ne peut ni comprendre ni contrôler.

Un très bon début !


 La mouche et l’araignée

Dans un couloir où tout se ressemble, d’où chaque porte s’échappe un cordon ombilical reliant la mère à son fils ou à sa fille, les Gahl et les Gahle sont prisonniers, avec pour chaîne le cordon leur apportant la vie. Le jour où le cordon est assez grand, l’homme frappe alors à la porte d’une femme pour se reproduire et ainsi continuer la vie de la tour.

C’est ce qui arrive à Gahl, apte à procréer après tant de patience, à perpétuer la vie, malgré le fait qu’il ne sache absolument rien de cette dernière, mis à part ce qu’il sait sur sa piètre existence.

Malheureusement, sans aide médicale, Gahle meurt en couche et laisse le nouveau né seul, sans possibilité de le nourrir. Gahl va alors l’observer explorer le monde de la tour, ce qui va lui faire se poser de nombreuses questions sur tout ce qui l’entoure.

Cette deuxième nouvelle du recueil est très dérangeante dans le sens où l’univers est très flou et que le personnage lui-même est étrange, ici et ailleurs en même temps.

Cependant, c’est encore une nouvelle intéressante, nous plongeant dans un univers de perception et de démence.


 La sixième colonne

Une colonne immuable d’hommes se déplace parallèlement à une autre de femmes, ayant chacun pour seul bagage, une valise. Seules les personnes avec une valise réglementaire ont accès à la colonne. Les autres sont enlevés, tués ou pire encore. Personne ne le sait. Personne ne sait non plus où ils vont, tous autant qu’ils sont. Et pourtant, personne ne bouge le moindre petit doigt, même quand les gardes fouillent certains ou quand ils frôlent un cadavre. Leur but : suivre inexorablement la colonne, sans ralentir, sans frémir et sans mourir.

L’univers angoissant de cette nouvelle rappelle désagréablement les rafles durant la 2nde Guerre Mondiale, quand les juifs étaient appelés à évacuer en emportant le strict minimum, sans même savoir où ils allaient ni ce qui les attendait. Voilà ce qu’on retrouve dans cette nouvelle.


 Comme un miroir mort

Irwin était fasciné par le cirque et souhaitait ardemment plus que tout découvrir son histoire. Malheureusement, le seul rescapé la connaissant était le capitaine, personne âgée dont la mémoire n’est plus à la hauteur d’une aussi lourde tâche ; tout du moins pas au sens où aimerait l’entendre Irwin.

Cependant, ce navire échoué, au milieu du naufrage, recèle de multiples secrets, aussi nombreux que les visages qu’il a connu dans son histoire ; et vouloir tous les découvrir est une entreprise à risques, la déception pouvant être à la hauteur de l’excitation.

À l’aventure du passé pour Irwin, ce passé qui est, pourtant, un futur pour nous. Voilà ce qu’est cette nouvelle. Une recherche désespérée de connaitre ses racines, de comprendre qui nous sommes pour pouvoir avancer, même sans savoir où nous allons.


Soleil de soufre

Il avance dans cette ville où règne l’essence et la joie, fiévreux et au bord de la migraine. Chaque pas lui coûte énormément mais il n’a pas le choix, il doit effectuer la célébration pour laquelle il est venu, hôte éminent et invité tant attendu, sans qui la fête ne serait plus.

Voici une nouvelle étrange, dépaysante, éphémère.


… de l’érèbe et de la nuit

Dans chaque tour, un homme veille, représentant de l’hypno-brigade, chargé de s’occuper des milliers d’hommes et de femmes dans leur cellule de retraite, endormis. Accompagné par son cheval et les mouches, il répète jour après jour les mêmes gestes à prodiguer aux dormeurs.

Cependant, les crises d’insomnie arrivent pour certains, et il est alors de son devoir de s’occuper des insomniaques, d’une manière ou d’une autre.

Cette nouvelle me rappelle en quelque sorte « La mouche et l’araignée », le lecteur étant plongé dans un monde étrange, ne comprenant pas le monde qu’il lit et devant chercher pour autant les indices qui lui permettront d’assimiler les pratiques en question, les us et les coutumes en vogue.


Memorial in vivo

« Le corps a la mémoire des sensations », la peau se souvient, il suffit simplement du bon catalyseur pour faire renaître ces sensations. C’est en se souvenant de ça que notre narrateur se dirige malgré lui vers un camp de concentration à l’aspect d’une ville morte.

Lui et tous les passagers du train évitent alors tout contact, tout mouvement inutile et toute douleur additionnelle à ce qu’ils ont déjà vécu. Car ce qui les attend est bien pire que la mort, car elle sonnera comme la délivrance. En effet, ce qui les attend est ce qui s’est déjà passé.

Décidément, deuxième nouvelle d’affilée qui fait écho à une autre, écho en l’occurrence à « La sixième colonne ». On retrouve une fois de plus des hommes et des femmes regroupés, ne sachant pas où ils vont, embarqués de force.

Dans cette nouvelle cependant, on retrouve beaucoup l’influence de la 2nde Guerre Mondiale avec les expériences menées dans les camps de concentration. L’Histoire serait-elle une grande source d’inspiration pour Serge Brussolo, revisitant et accommodant le passé à son récit ?


Off

Il n’y avait plus aucun son. Ou plutôt, plus aucun son ne parvenait à ses oreilles. Il n’entendait plus que le silence assourdissant, et tous était comme lui, immunisés contre le moindre bruit. En effet, afin de lutter contre la violence, l’État avait mis au point un système capable d’agir sur les tympans afin d’empêcher les sons d’être audibles à partir d’une certaine fréquence, rendant interdit de dépasser cette limite.

Cependant, bien que tout le monde se complaisait dans ce silence reposant, cherchant à se l’approprier le plus possible, lui le fuyait, devenait de plus en plus virulent à l’égard de la mollesse dont l’affublait le silence, le conduisant peu à peu vers la mort. Il avait connu le bruit et cherchait coûte que coûte à le retrouver, comme un drogué en manque.

Comment réagirions nous si du jour au lendemain nous perdrions l’ouïe, sens avec lequel nous avait cohabité durant des années ? Serge Brussolo, dans cette nouvelle, nous propose une approche de la surdité tout à fait singulière. Il traite aussi le sujet d’un État prohibitif, coupant les sens des citoyens pour les mieux les contrôler.


Anamorphose ou les liens du sang

Anamorphose : nom féminin, du grec anamorphoûn qui veut dire transformer.

Exemple d'anamorphose par Myrna Hoffman

Exemple d’anamorphose par Myrna Hoffman

Phénomène produit à l’aide de miroirs ou de lentilles cylindriques ou toriques, observé lorsque le système optique qui permet de passer d’un objet à son image amplifie différemment les dimensions horizontales et verticales de l’objet.

Sur l’île, c’est un sacré carnage ; des cadavres sont juchés sur la route, chiens, chats, hommes, aucune race n’est épargnée. Le narrateur, muni d’une veste militaire et d’un masque à gaz, un survivant, explore alors les alentours afin de s’apercevoir du carnage.

Dans le laboratoire, les chiens sont tous mutilés et morts. Au fur et à mesure de son trajet, il croise alors plusieurs survivants, amenant son lot de surprises et/ou de complications.

Lecture compliquée, il faut en effet s’accrocher du début à la fin afin de tout comprendre. Heureusement, la nouvelle est courte et les 2 dernières pages nous rendent la compréhension de la nouvelle plus simple pour une relecture.

On peut tout de même dire que le titre nous annonce d’entrée la couleur de la nouvelle : difficilement compréhensible sans aide.


Funnyway

La vie est une course sans fin, cyclistes et piétons refaisant jour après jour le même chemin, tels des hamsters dans une roue, la course n’étant pourtant jamais vraiment la même de jour en jour, par un quelconque sortilège.

Nus, ils doivent affronter un gaz toxique, la pluie, des vélos piégés etc. Le monde est hostile et il n’y a aucune échappatoire, l’arrivée de la course n’étant que le départ de la prochaine.

Le côté condamnation de la nouvelle me rappelle fortement lorsque mon père regardait l’été le Tour de France et que je devais me coltiner chaque jour des gens pédalant à la limite de l’évanouissement. Mais ceci n’est après tout que mon avis.

Pour en revenir à la nouvelle, une fois de plus, Serge Brussolo nous emmène dans un univers où l’homme se retrouve à subir un châtiment quelconque sans en connaître la raison et sans avoir la moindre chance de s’en sortir.


Subway, éléments pour une mythologie du métro

Dans le métro, on croise toute typologie de personnes, et assez souvent des sans abris. Subway en fait partie. Mais quelque chose le différencie des autres, ou bien le rend affreusement comme les autres. En effet, lorsqu’on l’interroge, il nous assure que le métro n’est pas ce qu’il semble être. Ce n’est pas simplement un amas de galeries et de rails nous menant à des stations. Non, chaque chose est à sa place pour une raison bien précise, et si l’on analyse les plans du métro, on en découvrira la véritable signification.

Pour lui, le métro est dangereux. Si l’on ne fait pas attention, si l’on s’aventure dans des endroits qui ne sont plus accessibles ou que l’on se perd, on risque de ne pas en sortir indemne. Le métro et la ville sont vivants.

Mais ce n’est pas la seule chose de Subway a à nous dire.

Voilà une nouvelle qui ne manque pas d’attiser ma curiosité sur toutes ces rames de métro fermées ou ces stations abandonnées depuis des années, ainsi que toutes les galeries que les voies peuvent croiser sur leur chemin. En effet, qui sait ce qui peut bien s’y passer ? Et seriez vous prêt à y aller pour le découvrir ?


« Trajets et itinéraires de l’oubli »

Le musée agit sur Georges tel un aimant au pôle opposé. Pourtant, s’il y retourne tous les week-ends, ce n’est pas par philanthropie ou pour améliorer ses connaissances. Le bâtiment exerce sur lui une attirance malsaine, et bien qu’il connaisse certaines salles par coeur à force de les traverser et de passer de nombreuses nuits à dormir dedans, il n’a jamais exploré le musée en entier. En effet, le bâtiment est bien trop grand pour ça, demandant plusieurs années voire décennies pour le traverser de long en large.

Il ne comprenait pas les œuvres présentes, malgré le fait qu’Elsy, sa femme, tente de lui faire comprendre qu’il ne fallait pas chercher une explication aux œuvres, qu’elles venaient simplement d’un autre monde.

Il y en avait cependant  une qui attirait particulièrement Georges, la fresque mésopotamienne dans laquelle il fallait retrouver le cheval d’Haménotheb, parti pour Ninive. Mais même après des jours et des nuits passés en face de l’oeuvre à la fixer, il ne l’avait pas trouvé. Mais ses visites hebdomadaires au musée n’étaient pas dans le seul but de trouver l’énigme à cette fresque. Car une énigme touchant Georges de plus près l’obnubilait bien plus.

Nous voici plongés dans une nouvelle qui fera écho à quiconque étant déjà allé dans un musée, parcourant les salles et les couloirs aux détours des différentes œuvres, sans forcément regarder les heures qui défilent ou le plan du musée. Qui n’a jamais eu peur de se perdre ou de se faire enfermer, l’édifice étant bien trop grand pour être fouillé avant la fermeture, devant se nourrir de Coca et de M&M’s pour survivre ?


Visite guidée

Personne ne connait leurs noms, personne ne sait pourquoi ils sont là ni pourquoi ils se scarifient et contraignent  leur crâne à se développer verticalement, causant des traumatismes pouvant entraîner des dysfonctionnements du corps ou la mort dans le pire des cas. Depuis maintenant plusieurs années, la mairie les a parqués dans une réserve  visitée par des touristes.

Afin de s’occuper de la population, mais surtout pour la surveiller, Georges (aucun rapport avec la précédente nouvelle) en est le médecin. Malheureusement pour lui qui pensait pouvoir en apprendre plus sur le peuple pour finaliser sa thèse, les autochtones ne s’ouvrent pas plus à lui qu’aux touristes, sauf quelques personnes dont il réussit tout de même à apprendre de grands secrets.

Des hommes parqués, voilà un bel exemple satyrique de notre société actuelle qui traite comme des animaux, des bêtes de foire, les gens qu’elle ne comprend pas, qu’elle ne peut donc pas mettre dans des cases, comme elle a l’habitude de le faire. Georges est l’exemple parfait de l’homme, le cul entre deux chaises, perdu entre son désir de s’intégrer et d’aider ces gens qu’il ne peut comprendre et entre son éducation qui l’a conduit vers la peur des institutions.

En somme, une nouvelle intéressante traitant de manière détournée (mais pas tant que ça) la société dans laquelle nous vivons depuis des centaines d’années. Car nous n’avons pas changé d’un pouce, malgré ce que nos institutions peuvent dire.


 Aussi lourd que le vent…

À l’agence MacFloyd-Transactions artistiques en tout genre, on ne fait pas dans le mécénat. Non, l’art, c’est du business sérieux. Et Elsy (aucun rapport une fois de plus avec la nouvelle précédente), une des employés les plus compétentes de l’agence, se voit confier une mission des plus orthodoxe. En effet, le grand patron de l’agence, le dénommé MacFloyd, la charge de s’occuper du cas de Nellie Armstrong.

Cependant, Elsy connait bien cette dernière, et sait qu’elle n’a rien produit de bien depuis plus de 10 ans. Et pourtant son patron semble penser le contraire, les versements constant sur le compte bancaire de l’artiste le prouvent, tout comme le ton grave employé par son patron lors de leur entretien de mission.

Une fois de plus et pour la dernière fois, Serge Brussolo nous emmène dans son univers d’art, où l’imaginaire dépasse la réalité, où l’art est tangible et pourtant on ne peut plus fictif et fugace.


Dans ce recueil, Serge Brussolo nous raconte de nombreuses histoires, certaines farfelues, d’autres moins. Mais une chose est constante, il s’inspire de notre société et la critique à sa manière, s’aidant du passé et du présent pour former des nouvelles atypiques. Plongez dans ce recueil et laissez vous guider dans les méandres de son cerveau, vous ne serez pas déçus.

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