J’avais lu dans un livre il y a plusieurs années : « La vie n’est qu’une ombre qui passe. Un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien« . Et étrangement, cette citation colle bien avec Station Eleven.
L’idiot s’appelle Arthur Leander, se pavanant tant bien que mal dans son ultime interprétation du roi Lear, qu’il interprêtera jusqu’à sa crise cardiaque sur scène, les projecteurs braqués sur lui.
L’idiot s’appelle Jeevan, ancien paparazzi, ancien journaliste people, ancien barman et futur médecin, qui se lance sur scène pour effectuer un massage cardiaque, seule chance de sauver le célèbre Arthur Leander, dont le cœur vient de s’arrêter.
L’idiote s’appelle Kirsten, jeune comédienne qui, quelques secondes plutôt, interprétait encore une des trois petites filles du roi Lear dans cette nouvelle adaptation, qui sera prise en charge quelques minutes par Jeevan avant de retrouver son accompagnatrice.
L’idiot s’appelle Clark, ancien meilleur ami d’Arthur, qui devra annoncer à sa famille la mauvaise nouvelle.
L’idiote s’appelle Miranda, première ex-femme d’Arthur, dessinatrice de comics et cadre supérieure en déplacement en Asie.
Les idiots s’appellent Elizabeth et Tyler, deuxième ex-femme et fils d’Arthur, habitant en Israël, qui se rendront plus tôt que prévu à New-York.
Bien loin de se douter de ce qui se trame actuellement, toutes ces personnes ont vu leur vie changer suite à la mort de l’ancien acteur et désormais ancien comédien. Bien loin de se douter, pourtant, que leur vie va radicalement changer suite à la mort de 99,9% de la population mondiale.
Le son des trompettes résonnent, pour certains c’est l’apocalypse, le glas de Dieu qui s’abat sur l’Homme pour le laver de ses péchés, pour d’autres, ce n’est qu’une répétition, accompagnée de violons, de guitares et de comédiens. La Symphonie est en route, elle traverse les territoires hostiles pour que dans chacun des cœurs résonne Shakespeare et pourquoi pas, avec lui, le roi Lear.
La vie est faite de destins croisés, de destins qui ne se sont jamais croisés, de destins qui ne se croiseront jamais ou qui se croiseront dans le futur. Et Station Eleven nous le rappelle, dans cet univers post apocalyptique, pour nous rappeler qu’il faut chérir la vie, car elle n’a pas de prix.
Et si, sans un bruit, le court de la vie s’arrêtait, sans préambule, sans premier ni dernier acte, seulement avec l’épilogue dans lequel vous êtes. Pourriez-vous dire que vous ne regrettez rien ? Que cet épilogue n’est qu’en fait le préambule de cette ombre qui passe dont vous êtes l’acteur qui se pavane et s’agite ?
Ce roman est splendide. Construction décousue entre le passé, le présent, l’ici et l’ailleurs. J’en avais entendu parler à la télévision lors de sa sortie mais la chronique ne m’avait pas préparé à vivre cette aventure.
Les trois coups résonnent, silence, éteignez votre téléphone, installez-vous confortablement et venez admirer les idiots se pavaner.